Dimanche 11 mars 3ème dimanche de carême
Nous vous proposons ensuite quelques clés de lectures données par le Père Jean. Cette réflexion pourra servir de préparation à la journée du Pardon qui aura lieu à Beauval le 24 mars, à partir de 14h30 jusqu’à 18h30…
Lc 15, 1-3.11-32
Parabole du père et de ses deux fils
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour
l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : «
Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils. Le
plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part d’héritage qui me
revient.’ Et le père fit le partage de ses biens. Peu de jours après,
le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays
lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie de désordre.
« Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans cette
région, et il commença à se trouver dans la misère. Il alla s’embaucher
chez un homme du pays qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il
aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient
les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
« Alors il réfléchit : ‘Tant d’ouvriers chez mon père ont du pain en
abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je vais retourner chez mon
père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi.
Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Prends-moi comme l’un de tes
ouvriers.’
« Il partit donc pour aller chez son père. Comme il était encore loin,
son père l’aperçut et fut saisi de pitié ; il courut se jeter à son cou
et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le
ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils…’ Mais
le père dit à ses domestiques : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement
pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux
pieds. Allez chercher le veau gras, tuez-le ; mangeons et festoyons.
Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était
perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent la fête.
« Le fils a îné était aux champs. A son retour, quand il fut près de la
maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des
domestiques, il demanda ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘C’est
ton frère qui est de retour. Et ton père a tué le veau gras, parce
qu’il a vu revenir son fils en bonne santé.’
« Alors le fils a îné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son
père, qui était sorti, le suppliait. Mais il répliqua : ‘Il y a tant
d’années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes
ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes
amis. Mais, quand ton fils que voilà est arrivé après avoir dépensé ton
bien avec des filles, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père
répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui
est à moi est à toi. Il fallait bien festoyer et se réjouir ; car ton
frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu,
et il est retrouvé ! »
Deux
fils
Lc 15,11-32
Parlant de ce passage de l’Evangile, on dit souvent:
« C’est la parabole de l’enfant prodigue ». Mieux vaudrait dire: la
parabole du père qui avait deux fils, car c’est l’attitude du père que
Jésus a voulu mettre en relief.
² Tout
commence par une histoire lamentable: la déchéance d’un jeune.
Le fils cadet revendique des droits, d’une manière qui
a dû sembler odieuse à son père, puisqu’il lui déclare en quelque
sorte: « Tu m’as mis au monde, et maintenant, paye-moi! » Pris entre la
fidélité à son père et la pression de la bande des copains, il choisit
la bande, et fait la fête.
Très vite la vie se charge de le dégriser, et en
expérimentant la misère des pauvres et des exclus, il commence à
mesurer la chance qu’il avait et le gâchis qu’il en a fait. Confronté
au réel avec ses seules forces, il lâche toute arrogance et décide de
reprendre la route de la maison.
Son histoire est celle de tous les naufrages
spirituels: on commence par gaspiller l’héritage du Père; puis on a
faim; alors on devient esclave. Mais ce destin du prodigue est surtout
un magnifique exemple de ce que doit être le retour vers Dieu. Quand
vient le moment de vérité, du fond de la misère on se tourne vers Dieu,
et l’on revient au Père, source de l’amour et de la paix.
Et c’est là toute la différence entre le dépit et la
contrition. Tant que le croyant, aux prises avec son péché, en reste au
stade du dépit, il demeure courbé sur lui-même, et il stagne sur place,
prostré dans son impuissance, désespéré d’avoir gâché l’image qu’il se
faisait de lui-même. Quand vient au contraire la vraie contrition, non
seulement on rentre en soi-même, mais on se lève, on se met en marche
vers le Père, sûr d’avance qu’on sera écouté, compris, pardonné, parce
qu’on est certain d’être aimé. On ne se désole plus tellement d’avoir
écorné l’image de soi-même que d’avoir terni en soi l’image de Dieu et
d’avoir blessé l’amour d’un Père qui nous a voulus libres. Et c’est
cela qui bouleverse le coeur de Dieu: de voir ses enfants malheureux
croire plus à son amour qu’à leur propre misère.
² Mais
le fils a îné, le sage, est-il moins aimé parce qu’il est moins
misérable?
On l’imagine parfois, mais c’est mal comprendre les
paroles du père. Certes l’a îné a un grand tort, malgré sa fidélité:
c’est de n’avoir pas compris comment réagit le coeur d’un père, et
d’être resté bloqué sur les fautes de son frère alors que le père,
depuis longtemps, avait ouvert les bras. Mais le père, à lui non plus,
ne fait aucun reproche, car en un sens il a raison. Au plan où il
situe, celui de la justice stricte, l’a îné raisonne juste, et son
réflexe est compréhensible. Il parle de droit, de faiblesse paternelle,
de manque d’autorité. Le père, lui, ne répond pas à ce niveau, qui ne
débouche pas sur la vie. Il reprend, paisiblement, les mots tout
simples et sublimes de l’amour et de la réciprocité: « Toi, mon enfant,
tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi! Tu as mon
amour, tu as tout! Tu es dans mon amour: tu as plus que toutes les
fortunes, toutes les fêtes et toutes les aventures! Je suis là avec
toi, que chercherais-tu ailleurs? »
Le tort du fils a îné, c’est de se sentir frustré parce
que son père fait miséricorde, de mésestimer le prix de son intimité et
de sa confiance, et de brouiller par sa jalousie l’oeuvre du père, qui
n’est que générosité et pardon.
² Dans
la pensée de Jésus, c’est bien le père qui est au centre de la parabole.
Il laisse faire le plus jeune et fait droit à ses
revendications, sans savoir jusqu’où il ira dans sa soif de plaisir. Le
cadet est poussé par un besoin d’autonomie, et son père lui en laisse
le risque: il ne veut pas être libre à la place de son fils. Mais il ne
cesse pas d’attendre, parce qu’il ne cesse pas d’aimer. Ne plus l’avoir
près de lui, c’est comme s’il était mort.
Quand son fils, revenu, lui saute au cou, le père ne
veut même pas écouter toute sa confession: l’attitude de son enfant lui
parle plus que des paroles. Et le père organise une fête,
disproportionnée selon nos vues égalitaires, mais tout à fait
proportionnée à son amour de père, qui n’est mesuré par rien: « Il
fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que
voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est
retrouvé! »
Pourquoi le pardon serait-il moins puissant dans le
coeur d’un frère que dans celui d’un père?
Pourquoi parlerions-nous obstinément de justice et de
sévérité, quand Dieu veut nous inculquer son parti pris de miséricorde?
Pourquoi fermerions-nous notre coeur au frère qui
revient, alors que son retour fait toute la joie de Dieu?
Père Jean