Sainte Anne retrouvée …
Cet excellent article du non moins excellent Jacques Poiret est paru dans l’echo de la vallée, n° 238 et 239 (2007). Un véritable dossier complet dédié à Sainte Anne, mère de la Sainte Vierge, une sainte honorée depuis longtemps dans notre secteur.
Sujet à découvrir ou à redécouvrir gr ce à Internet …
( chapitre Mobilier et Objets d’Art, page 50, §5)
« Par mesure de sécurité, ce groupe de bois (H. 0,55 m) est conservé dans la sacristie. Il a été découvert en 1922 23 dans les combles de l’église. D’après la tradition populaire, il provient d’une chapelle sainte-Anne située à l’entrée du « bois de Montgrolle », non loin de la ferme de Montaudier-le-Bas. Vers 1830, il y avait encore là une croix de sainte Anne à laquelle l’on se rendait en procession pour les Rogations (2) et une fontaine sainte-Anne fréquentée pour la guérison de la fièvre(3). Il existe encore une croix qui a été déplacée et rapprochée de la ferme de Montaudier-le-Bas.
La statue pourrait dater du XVIIe siècle. La sainte est assise dans un large fauteuil à haut dossier et passe sa main droite derrière le dos de la petite sainte Vierge; Celle-ci, debout, maintient de sa main gauche un livre ouvert posé sur le genou droit de sa mère. La main gauche de sainte Anne est mutilée.
Il faut admirer surtout l’expression de la physionomie de sainte-Anne et l’élégance de ses vêtements »
Ce groupe de bonnes proportions représente sainte Anne instruisant sa fille Marie.
Sainte-Anne enveloppe l’enfant de son autorité. Son regard reste cependant, attentif et attendri. Sa main devait également tenir le livre, si toutefois son avant-bras gauche n’avait pas disparu. Son visage exprime remarquablement l’encouragement, la compréhension et la bienveillance. Néanmoins, l’on y perçoit une légère note de condescendance.
Cependant l’attitude générale traduit bien l’intérêt qu’une mère doit porter à l’éducation de chacun de ses enfants.
Quelques observations :
Poids: 13,250 kg; Hauteur: 53 cm; largeur hors-tout: 33 cm; profondeur: 27 cm.
Le groupe est sculpté dans une partie de tronc de chêne. Le bois est piqué et présente une fente large d’environ deux centimètres à partir de la base jusqu’au niveau des genoux de la sainte pour se terminer en une mince fêlure jusqu’au bas du visage. A mon avis, cette profonde blessure dut provenir d’un coup de hache. La disparition de l’avant-bras gauche de sainte Anne est peut-être le résultat d’un accident de transport. L’on remarque qu’une tige de fer fut emmanchée dans la partie humérale; probablement lors d’une première remise en état. D’ailleurs deux trous situés sur les genoux de sainte Anne laissent deviner des traces de cloutage pour une consolidation grossièrement ou rapidement exécutée. L’avant-bras droit de la Vierge Marie a disparu également; emportant une partie du livre qui a souffert également.
En l’occurrence, je pense qu’il s’agir d’une bible. Notons au passage que la Bible fut le premier livre a être imprimé, et ce, en 1455 .On remarque un peu partout de nombreuses traces d’une peinture de teinte rougeâtre ; laissant supposer que la statue en fut entièrement recouverte; puis, imparfaitement nettoyée. L’on ne trouve aucune trace d’une décoration de teinte différente. Pour quelle raison la statue aurait-elle entièrement peinte en rouge, et par qui ? Poser la question serait peut-être y répondre … surtout si l’on se réfère aux périodes de terreurs révolutionnaires entre 1792 et 1798. Sauf erreur et en comparaison avec d’anciennes gravures, le voile formant également coiffe que porte sainte Anne est effectivement un modèle à la mode dans les milieux civils et religieux en Europe à partir du XVIe siècle. Mention de cette statue figure dans l’inventaire des biens mobiliers et immobiliers de la Collégiale de La Chapelle-sur-Crécy, suite aux dispositions d’application de la Loi de 1905 portant sur la Séparation de l’Eglise et de l’Etat. Elle a du faire l’objet d’une délibération du Conseil Municipal de La Chapelle à peu près à la même époque
L’oeuvre pourrait être celle d’un habile artisan menuisier local car en milieu rural et artisanal, au moins jusqu’en 1900, l’on fabriquait son propre mobilier. Le visage de sainte-Anne, ci-contre, particulièrement bien réussi, pla ît énormément. L’on ne relève aucune signature ou marque. L’auteur restera donc anonyme. Est-il possible de dater cette sculpture ? Pour ma part les deux personnages me paraissent bien correspondre à la mode vestimentaire du XVIIe siècle.
André Barrault, dans son ouvrage penche également pour cette époque.
Sainte Anne ( » La Grâce la gracieuse » )
La Bible ne mentionne pas sainte Anne. Selon certains Evangiles apocryphes (4) elle serait la mère de la Vierge Marie et donc la grand-mère de Jésus-Christ. Ce ne sera qu’au terme d’une vingtaine années de mariage avec Joachim ( » Dieu accorde » ) que l’enfant na îtra. Les deux époux auraient été de la tribu de Juda; Anne étant de la lignée royale de David. A l’âge de trois ans ses parents présentèrent Marie au Temple. L’Eglise d’Orient a peu ou prou accepté ces récits, tout en les élaguant d’épisodes qui semblaient fantaisistes. Du point de vue liturgique, le culte de Ste Anne remonte assez haut. A Constantinople, vers 550, une église lui fut consacrée. Une autre existait à Jérusalem. En Occident le culte remonterait au VIIIe s. Cependant il faut attendre le XIIe s. puis le XIIIe s. pour trouver une fête mentionnée dans les textes (Sacramentaires (5) d’Apt et de Chartres).
Quelles sont les formes les plus représentatives de la composition parmi les plus remarquables de la production artistique ?
L’on en distingue deux principales tant en sculpture qu’en diverses expressions picturales: Sainte Anne assise avec sa fille debout à ses côtés ou toutes les deux debout. Les attitudes restent les mêmes dans tous les cas. Anne pose un regard attendri sur Marie qui s’absorbe dans la lecture d’un texte. Ces représentations, pour les plus remarquables en Europe, sont réparties principalement en Italie et vont du XVe s., époque Renaissance, au XIXe s.
La Sainte Anne de La Chapelle s’apparente au « modèle assis »et respecte particulièrement bien les canons anciens.
Il existe deux compositions particulières qui bien qu’échappant à la règle générale méritent cependant d’être mentionnées. Il s’agit du tableau Sainte Anne avec la Vierge, l’Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste par Léonard de Vinci ( 6 ) et de la Trinité mariale – Anne, Marie, Jésus – de Masolino & Masaccio ( 7 )
Sainte Anne se fête le 26 juillet
Voici une liste, probablement non exhaustive, des professions et des villes dont sainte Anne est la patronne: les fripiers, les couturières et dentellières, les lingères, les ménagères, les menuisiers, les tourneurs, les lads, les fabricants de balais, les marins, les meuniers, les orfèvres, les tisserands, les tonneliers et les sapeurs-pompiers.
C’est à partir du Moyen-Âge que la corporation des ébénistes prit sainte Anne comme patronne.
De nombreuses provinces et villes la prirent comme patronne. L’on citera Florence, Innsbruck, Naples, toute la Bretagne et le Québec au Canada. Auray, près de Lorient, représente le plus important de ses lieux de pèlerinages. Au Canada, un sanctuaire lui est consacré à Beaupré, à hauteur du fleuve Saint-Laurent depuis 1658 avec plusieurs millions de visiteurs.
C’est en 1584 que le pape Grégoire XIII fixa sa fête solennelle au 26 juillet et officialisa son culte.
Ses prénoms de par le monde … et les proverbes …
Après Marie, aucun autre prénom ne fut autant béni et privilégié que celui d’Anne. Il fut porté par de nombreuses reines et princesses de Byzance à l’Angleterre et en France avec l’indépendante Anne de Bretagne et Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV, pour ne citer que ces personnages historiques.
Pour l’anecdote voici quelques variantes de ce beau prénom: Anaël, Anaëlle, Anaïs, Aneth, Anika, Anita, Anna, Annabelle, Annaïc, Annaïg, Anneto, Annette, Annick, Annie, Annouk, Ano, Anouchka, Naïs, Nancy, Nanette, Nannig, Rosianne.
-S’il pleut à la Sainte Anne, c’est tout de la manne – Si les fourmis s’agitent à la Sainte Anne, l’orage descend de la montagne.
J.Poiret
Crédit Photos Crécy Art
Mes remerciements vont à l’Abbé Michel Duhamel,
précédent curé de la paroisse des « Trois Clochers »,
pour ses conseils et informations éclairées.
Pour en savoir plus :
(1) « L’église de La Chapelle-sur-Crécy » par l’abbé André Barrault, Secrétaire général de la Société d’Histoire et d’Art du Diocèse de Meaux. Illustrations de Dunoyer de Segonzac. Editions Gruot-Bonne 1961.
(2) Les Rogations: procession de supplication instituée au Ve s. qui se déroule le jour de la Saint-Marc ( 25 avril ) et les trois jours précédant l’Ascension ( 40 jours après Pâques ), destinée à attirer la bénédiction divine sur les récoltes et les animaux.
(3) Les « fièvres » dont il est question, pourraient bien être des « fièvres des marais » ou Leptospirose, provoquées par de l’eau , des animaux et rongeurs parasités. A ce propos il faut se rappeler l’existence de nombreux viviers, mares et étangs, ainsi que de marais, dans la vallée du Morin et sur le plateau; concourrant au développement de l’élevage piscicole jusqu’au milieu du XVIIIe et procurant un complément alimentaire non négligeable pour l’époque. Le roman de Renart montre Ma ître Goupil rentrant au logis avec des anguilles volées. Et où donc les aurait-il volées ?
(4) » Les évangiles apocryphes … ne sont pas, comme certains cherchent à le faire croire, une découverte contemporaine. La plupart de ces textes sont connus depuis l’Antiquité. Les évangiles apocryphes les plus anciens remontent au IIIe siècle après J.-C., alors que les Evangiles reconnus par l’Eglise ont été écrits, au plus tard, quelques décennies après la vie, la mort et la résurrection du Christ « . Extrait de l’interview Figaro Magazine / Cardinal Bertone, secrétaire d’Etat du Vatican. Cahier n° 3 du 31/03/2007.
(5) Sacramentaires: au Moyen Âge, livre contenant les prières liturgiques à l’usage de ceux qui célébraient la messe.
(6) Sainte Anne avec la Vierge, l’Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste. Fusain et craie sur papier préparé. The National Gallery, Londres.
(7) Trinité mariale ou Sainte Anne Metterza (Vierge à l’Enfant avec les anges). Huile sur toile. 1424-1425. Musée des Offices, Florence.
Extraits de textes de l’Encyclopédie Catholicisme, tome 1, p. 586.